Des champions de boxe à Luché-Pringé avant-guerre - Ecrit par Au fil du Zoom
Quand des champions de boxe s’entraînaient à Luché-Pringé avant-guerre. Pendant l’été 1939, l’écurie de boxe parisienne de l’entraineur Jean Bretonnel arrive en Sarthe avec trois de ses poulains Assane Diouf (poids moyen), Omar Kid Le Noir (poids léger) et Robert Bourdet (poids coq) « nous avons des nouvelles d’Assane Diouf, de Robert Bourdet et d'Omar le Noir qui s'entraînent sous les ordres de Jean Bretonnel, à Luché » (Ce Soir, 2 août 1939). Ils sont venus se préparer à la campagne avant le combat du 5 août à Monté Carlo comptant pour le championnat de France. De retour du rocher monégasque, c’est deux hommes heureux, nouveaux champions de France, Diouf et Omar, qui retrouvent Bourdet « […] au vert à Luché-Pringé depuis plusieurs semaines qui se préparent pour le titre de champion des poids coqs » (l’Intransigeant, 9 août 1939). Après sa défaite par KO face à Angelmann au 8ème round et celle face à Pierre Louis, le jeune boxeur d’une vingtaine d’années doit prendre conscience « qu’un long repos lui est nécessaire » (le Journal, 13 juin 1939) s’il veut redevenir un « vrai coq de combat » (Ce Soir, 4 février 1939). Faut dire que ce combat face à Angelmann a laissé des traces « une vive émotion s’était emparé du public […] en voyant Bourdet […] tomber en syncope dans son coin » (le Journal, 13 juin 1939).
Faisons connaissance avec ce jeune boxeur d’1m58 pour 53 kg, né le 19 novembre 1916, de famille modeste, la maman est concierge dans un immeuble et le papa boulanger. Il a commencé à boxer à 10 ans dans la cour de son collège lors d’un combat organisé pour la fête de fin d’année, à sa demande ! « Il devient mon élève à 15 ans, il fait son premier combat le jour de ses 16 ans ! » (Jean Bretonnel, Paris-Soir 28 octobre 1940). Il restera amateur pendant 3 ans et demi. Il deviendra champion de France professionnel poids coq, à 21 ans, en battant Bernard Leroux, en décembre 1938. Mais le conflit de la deuxième guerre mondiale va mettre un terme à l’ascension du jeune boxeur professionnel. À la bourse des sports des valeurs sportives, en février 1939, Robert Bourdet est considéré comme un sportif en hausse au même titre que Cerdan et Despeaux (champion olympique à Berlin en 1936). Il faut dire que depuis l’automne 1938, Robert Bourdet enchaîne les victoires : face à Young Gonzalez, en septembre, puis face à l’espagnol Balthasar Sangchili, ex-champion du monde des poids coqs, puis face au champion espagnol Fortunato Ortega au Cirque d’Hiver en le mettant au sol pour 8 secondes au 8e round « après un combat endiablé » (la Dépêche, 13 mai 1939). Le jeune boxeur apparaît comme « le type même du boxeur qu’on aime voir… et c’est un véritable régal que d’assister à chacun de ses combats ». (l’Intransigeant, 13 mai 1939).
Le 1er septembre 1939, les troupes allemandes envahissent la Pologne. Le 3 septembre, la France déclare la guerre à l’Allemagne : c’est le début de la deuxième guerre mondiale qui va tout balayer sur son passage et bouleverser des vies. Dans le petit monde de la boxe professionnelle, en octobre, Jean Bretonnel le manager des champions de France donne des nouvelles de ses poulains à un journaliste et en particulier de Bourdet qui vient d’être mobilisé et qui « le premier jour de la mobilisation venait d’acheter l’hôtel de Luché-Pringé » (l’Echo d’Alger, 20 octobre 1939) où ils avaient séjourné lors de la préparation de leur combat pour le championnat l’été précédent.
En janvier 1940, Bourdet s’exhibe en compagnie de vedettes du spectacle sur le ring de la salle Saint-André au Mans, au profit du Foyer des Soldats du 217e régiment d’infanterie en compagnie de Pierre Dac, le roi des loufoques qui a fait l’aller-retour entre le Mans et Paris pour l’occasion (Paris-Soir, 29 janvier 1940).
Le mois suivant, c’est « le réveil de la boxe professionnelle » titre l’Intransigeant, en février 1940, avec la réouverture du Palais des Sports à Paris avec comme match vedette Robert Bourdet contre l’espagnol Luis Fernandez prévu le 10 février. Dans la capitale qui n’est pas encore occupée, le champion aux armées, l’élève caporal Bourdet reprend le travail. Étant mobilisé, il n’a pas eu tout le loisir de s’entraîner correctement sur le ring du BC Manceau. « Imparfaitement préparé, » titre le Petit Parisien, face à un Luis Fernandez qui a eu tout le temps de s’entrainer à l’arrière. Mais on peut lire dans les journaux de l’époque, l’engouement pour le jeune poids coq, le chroniquer Bob d’E. écrivait « il faut cependant compter avec la plus grande habitude qu’a Bourdet des grandes batailles. En tout cas, je serai ravi d’assister à ce combat » « punch contre punch » (le Jour, 10 février 1940) ; « la soirée sera sans nul doute très goûtée du public » (le Figaro, 10 février 1940). L’espagnol bat le français par abandon de ce dernier au 8e round, fin du match. Le lendemain, la presse écrivait « il est dangereux d’opposer un garçon plus ou moins frais émoulu des lignes […] on l’a bien vu hier soir » (le Jour, 11 février 1940), « une conséquence de plus de la guerre… » (le Petit Parisien, 11 février 1940).
Au printemps, Robert Bourdet participe à une fête sportive au gymnase Jean Jaurès à Paris organisée par l’Association des Œuvres de Guerre de l’Hôtel de Ville. Il retrouve les champions olympiques Despeaux et Michelot ainsi que l’ex champion du monde des poids plumes Holtzer.
Le 28 octobre 1940, on peut lire une interview de l’entraîneur Jean Bretonnel dans Paris-Soir qui annonce que Bourdet est prisonnier. En février 1941, dans les pages sports du Petit Courrier à la rubrique boxe, il est écrit « l’ex champion de France des poids coq, Robert Bourdet, qui est prisonnier en Allemagne, travaille chez des cultivateurs ».
On retrouve la trace de Robert Bourdet au début de l’année 1942, où il reprend les combats comme champion de la zone occupée. De janvier 1942 à juin 1943, le jeune boxeur va enchaîner les combats à Lyon, Issoudun, Alger, Limoges, Paris à la salle Wagram ou bien aux Arènes du Grand Palais face à des Lopez, Pons, Joe Dante, Brahim Ben Yahi, Georgi, Atenza, Lucchetti ou bien Pierre Paul. Fin avril 1943, Bourdet s’installe à Paris, pour renforcer l’écurie des coqs et il veut combattre contre Roger Fournier « il veut prouver que le petit bonhomme vit encore » interview de Bourdet dans le Matin du 27 avril 1943. Dans la salle Wagram, lieu de prestige avec ses lustres et ses balcons, dans le Paris occupé, Bourdet perd aux points face à Fournier au 10e round « un excellent combat, mené à toute allure, sans répit, sans ménagement » (le Matin, 28 avril 1943).
Août 1943, c’est les vacances à la campagne « dans ce coin de la Sarthe, à la fois riant et comblé par tous les biens de la nature, on est à même de rencontrer […] le long du Loir, les ex titulaires de 3 championnats de France et de 2 titres olympiques : Assane Diouf, Jean Despeaux, Roger Michelot et Robert Bourdet » (Paris-Soir, 16 août 1943). Le journaliste part à la rencontre des boxeurs dans ce coin de la Vallée du Loir. Diouf profite de vacances en famille à la Flèche. Jean Despeaux vit en pleine nature dans le hameau du Tertre où il aide de bon cœur, les cultivateurs en portant des sacs de grains « comme cela, je rendrai service aux cultivateurs voisins, qui sont tous des gens charmants, et ça ne me fera pas de mal » déclaré l’ancien champion olympique des Jeux de Berlin. Le journaliste parisien poursuit son reportage et se retrouve à Luché-Pringé où il rencontre le 2e champion olympique des Jeux de Berlin, Roger Michelot, qui se repose en allant tranquillement à la pêche à la grenouille sur les bords du Loir. Et enfin qui sort de chez lui, Robert Bourdet, dont les parents sont aubergistes à Luché, un bandage à la main droite, « c’est depuis mon match avec Pierre Paul » ! Le jeune boxeur attend patiemment que la brisure soit complètement guérie pour combattre à nouveau. Tout ce petit monde compte bien que les festivités pugilistiques reprennent en septembre !
À l’automne 1943, Bourdet perd aux points face à Fournier et en décembre, il gagne face à Declais à l’Elysée Montmartre. Il perdra le 16 janvier 1944, aux points, face à Cornelis à Liège, c’est son dernier match dont j'ai trouvé la trace dans la presse de l'époque.
Robert Bourdet aura combattu pendant cette période 53 fois, pour 32 victoires, 9 matchs nuls et un titre de Champion de France des poids coqs.
Au fil du Zoom (Thierry Bomben)
Sources : presse écrite de l'époque